Innovation, numérique et intelligence artificielleL’IA au service de l’excellence industrielle française

26 mai 2021
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SOUTENIR LA COMPETITIVITE ET L’EXCELLENCE INDUSTRIELLE FRANCAISE

PAR L’AMELIORATION DE LA GESTION DE PROJETS AIDEE PAR L’IA

Olivier Jamin

 

L’intelligence artificielle a franchi le cap de la théorie, initiée dans les années 1960, pour passer au stade d’une mise en œuvre qui va crescendo depuis les années 2000. Ceci est permis notamment grâce au développement de microprocesseurs plus puissants qui augmentent considérablement les capacités de calcul des ordinateurs.

Cette expansion des possibilités est à la fois porteuse d’espoir et source d’inquiétudes. Porteuse d’espoir tout d’abord, car elle permet par exemple, dans le domaine de la santé, de diagnostiquer précocement les cancers[1]. A l’opposé, l’IA effraie quand elle s’immisce dans nos vies privées et que nos données personnelles sont décortiquées à des fins purement mercantiles ou à des fins de contrôle de la population ; il existe à ce sujet une défiance des peuples occidentaux à l’égard des GAFAM et des gouvernements, et elle est légitime quand on sait que les Chinois ont déployé le crédit social et la reconnaissance faciale de masse.

L’IA fonctionne pour le moment comme un système spécialisé, c’est-à-dire que chaque application concrète de l’utilisation de l’IA sert un domaine spécifique . […] En revanche, les systèmes multidisciplinaires (ou multi-expertises) n’en sont encore qu’à leurs balbutiements, et des activités comme le management échappent encore à ce jour à la compréhension de l’IA.

De la mono-expertise de l’intelligence artificielle

En 2021, ce qu’on appelle l’intelligence artificielle est en fait le nom commercial de la mise en œuvre informatique de formules mathématiques et statistiques sur des quantités (importantes) de données. Son nom technique est le Machine Learning, et sa variante la plus avancée est le Deep Learning et ses réseaux de neurones informatiques

L’IA fonctionne pour le moment comme un système spécialisé, c’est-à-dire que chaque application concrète de l’utilisation de l’IA sert un domaine spécifique tel que le traitement du langage naturel (i.e. la compréhension du langage parlé ou écrit) ou le jeu d’échecs. En revanche, les systèmes multidisciplinaires (ou multi-expertises) n’en sont encore qu’à leurs balbutiements, et des activités comme le management échappent encore à ce jour à la compréhension de l’IA, car elles sont difficiles à modéliser et/ou à mettre en formules mathématiques.

En ce sens, ces territoires encore relativement peu explorés par l’IA représentent d’énormes gisements de progression pour la recherche et ses applications.

La gestion de projets : une forme de management vitale pour les entreprises

Le management est le nom communément donné à la « gestion des hommes », et celle-ci revêt plusieurs formes. Tout d’abord, le management d’équipes comme le fait un(e) chef(fe) avec ses collaborateurs. Ensuite, la gestion de projet est une forme de management matriciel (ou transversal) en ce sens qu’elle est une collaboration entre personnes qui n’ont pas nécessairement de liens hiérarchiques entre elles.

L’organisation d’une entreprise repose sur un savant dosage entre les deux formes de management : la gestion hiérarchique (ou « pyramidale »), qui s’assure du bon déroulement des opérations du quotidien,

  • la gestion de projet, cette forme de coopération transversale qui accompagne l’entreprise dans son évolution.

La vie d’une entreprise est jalonnée d’évolutions de toutes les dimensions qui la composent, comme son organisation ou son système d’information, parce qu’elle doit s’adapter à ses clients, à ses concurrents, et à son environnement. A titre d’exemple, le rôle d’un comptable au quotidien, contrôlé et encouragé par son responsable hiérarchique, est de s’assurer que les chiffres dont il dispose sont exacts et que les comptes sont équilibrés. En complément, il peut être amené à travailler en mode projet, à titre d’illustration, avec un juriste et un informaticien pour faire évoluer son logiciel de comptabilité si une loi comptable ou financière change. Un autre exemple est celui d’une entreprise qui produit des automobiles, où les lignes de production représentent une part du management pyramidal qui s’assure que les véhicules sont correctement assemblés au quotidien, alors que le lancement d’un nouveau modèle est un projet qui va nécessairement amener une forme de collaboration entre des ingénieurs, des designers et par exemple le marketing qui va devoir annoncer ce lancement.

En ce sens, la gestion des projets est une des clés de la compétitivité et de la pérennité d’une entreprise car, au contraire du management hiérarchique, elle soutient et façonne la manière dont l’entreprise évolue. Et c’est également en cela que c’est aussi un écueil potentiel, car des projets de grande ampleur mal pilotés ou mal exécutés peuvent faire s’enliser toute une entreprise dans des difficultés la conduisant à la faillite.

De nombreux cas de transformations d’entreprises ratées ont ainsi été documentés, comme la retentissante faillite du voyagiste britannique Thomas Cook (en 2019) qui n’a pas su faire face à l’évolution du marché. Il est notoire que ce groupe a observé des défaillances majeures dans la gestion de ses projets d’évolution de ses systèmes d’information (mise en ligne et évolution du site e-commerce, création d’une application mobile etc) alors que c’était un élément central pour assurer sa résilience face à la concurrence des plateformes internet comme Booking ou Airbnb.

A l’origine de la complexité de la gestion de projets

Techniquement, la gestion de projets repose sur trois piliers : Qualité, Coûts, Délais. La gestion des coûts est celle du budget alloué, la gestion des délais est la planification et le respect des échéances fixées, et la gestion de la qualité est l’adéquation entre le résultat escompté et le résultat obtenu. Selon la taille des projets, un quatrième paramètre pouvant être géré de manière aussi stricte est celui de la gestion des risques, c’est-à-dire anticiper les événements qui peuvent induire une dérive des trois autres paramètres : dépassement du budget, allongement des délais, non-conformité ou anomalie des livrables.

Chacun de ces fondamentaux de la gestion de projet fait déjà l’objet de plusieurs logiciels dopés à l’intelligence artificielle, visant à aider les Chefs de Projets. On peut même citer même une startup Française très prometteuse sur le créneau de la gestion de projet industriel (grands travaux et grandes constructions) comme Lili.ai qui est spécialisé dans la gestion des coûts, mais il n’existe pas encore à ce jour de logiciel ultime qui sache gérer tous les fondamentaux.

Au-delà des aspects techniques de la gestion de projet, la composante humaine, c’est-à-dire cette capacité à faire du management transversal, à fédérer et coordonner, à communiquer, est essentielle. Un autre paramètre majeur est celui du contexte de l’entreprise, à savoir si toutes les parties prenantes du projet ont bien toutes (ou non) intérêt à ce que le projet soit couronné de succès. En effet, ce qu’on appelle des situations « politiques » en entreprise sont en fait des situations où les egos et les ambitions personnelles viennent influencer le déroulement du projet. Et c’est donc dans toutes ces dimensions que les outils informatiques sont aujourd’hui quasiment inexistants, à tout le moins dans la gestion de projet.

Pour appuyer cette idée, le Standish Group, un institut américain d’analyse et de services spécialisés dans la gestion de projets logiciels, publie tous les 4 ans un rapport. Ce rapport analyse les projets des entreprises qui participent à l’étude en partageant leurs données concernées. En cumulé, le Standish Group compte à ce jour un référentiel de plus de 50000 projets de développement logiciel (ou « digitaux ») et le bilan est édifiant[2] :

  • Plus de 50% des projets digitaux / de développement logiciel arrivent à terme mais avec des anomalies vis-à-vis de la feuille de route initiale (écart budgétaire ou écart de qualité),
  • Un autre tiers (1/3) de ces projets sont même abandonnés,
  • Et à peine un autre cinquième (1/5) de ces projets sont gérés en respectant à la fois le budget, les délais et les spécifications initiales.

Les analystes regroupent les difficultés rencontrées en trois catégories : l’environnement, l’équipe, le sponsor. Quelques exemples des facteurs sous-jacents démontrent que c’est en effet dans la composante humaine des projets que le succès ou la faillite de ceux-ci résident, on peut citer notamment la rapidité de décision, la capacité de négociation, l’influence, la faculté à résoudre des problèmes, la passion ou la tension au sein des équipes.

Organiser la collecte des données d’une profession est un premier pas vers l’innovation

En France, sur des projets immobiliers, l’Agence Qualité Construction publie un rapport annuel[3] visant à rendre compte des malfaçons dans la construction et à analyser leur impact sur l’économie du secteur. L’agence constate une augmentation moyenne de +6,4% par an des prestations versées par les compagnies d’assurance. Cependant, le rapport est plus un thermomètre du secteur et il ne rend pas compte des facteurs intrinsèques qui influent sur les malfaçons, il se contente d’expliquer que le recours juridique est plus fréquent. Le travail réalisé en surface ne permet ainsi pas de formuler de recommandations profondes ou d’initier des innovations (nouveaux matériaux, nouveaux outils, nouveaux procédés) pour le secteur de la construction.

Toujours en France et dans le domaine du logiciel, on peut citer le Club Qualité Logicielle (https://www.clubqualitelogicielle.fr/) qui est une association loi 1901 qui a été créée « à l’initiative de responsables informatiques qualité/méthodes/outils de grandes sociétés françaises » comme on peut le lire sur sa page d’accueil. Sa mission consiste avant tout à sensibiliser, à encourager les partages d’expérience et à participer à la normalisation du secteur. Ceci est une ambition louable, mais elle devrait aller plus loin.

Les différences entre les projets sont nombreuses d’un secteur d’activité à un autre et l’analyse de ces projets est complexe, et c’est pour cela que de disposer de données de projets variés est un premier pas considérable pour avancer vers une augmentation de la maîtrise de la gestion de projets. Et c’est en cela que le travail réalisé par le Standish Group (cf. plus haut) est colossal et qu’il permet d’espérer pour les USA construire une meilleure gestion de projet pour l’avenir.

Il faut donc comprendre que la constitution d’une base de données contenant les données objectives sur la réussite ou les échecs des projets est une première étape nécessaire. L’étape d’après serait à réaliser par des Data Scientists, des professionnels experts de la donnée, qui seraient à même de « faire parler » ces données en modélisant leurs corrélations et en estimant les poids relatifs de ces paramètres humains et contextuels (pour reprendre les analyses du Standish Group) dans la réussite ou l’échec des projets.

Ensuite, une hypothèse de travail intéressante est que les données collectées par le Standish Group, bien qu’elles relèvent de la gestion de projet numérique, pourraient être extrapolées à la gestion d’autres typologies de projets, dans d’autres secteurs. Ceci serait à vérifier en effectuant le même travail de collecte et d’analyse de données sur d’autres typologies de projets.

Et enfin, il est à noter, en prenant une nouvelle fois le Standish Group comme référence, qu’il s’agit ici d’une initiative privée qui vise à faire progresser d’autres acteurs du secteur privé. Son existence prouve que des acteurs du secteur privé sont volontaires pour participer à cette expérience et pour progresser, mais aussi et surtout qu’ils ont accepté d’ouvrir et de partager leurs données pour en extraire la quintessence, ce qui est une condition sine qua none pour cette étude.

Il est important de comprendre que les données qui sont à collecter sont uniquement celles des projets et de leur déroulement, et qu’elles ne se rapportent pas aux secrets industriels des entreprises. Ce point du respect de la confidentialité et de l’absence de risque concernant la propriété industrielle est un élément clé de l’acceptation et de l’implication des entreprises.

Lever les doutes relatifs et organiser un partage des données équitable

Il est important de comprendre que les données qui sont à collecter sont uniquement celles des projets et de leur déroulement, et qu’elles ne se rapportent pas aux secrets industriels des entreprises. Ce point du respect de la confidentialité et de l’absence de risque concernant la propriété industrielle est un élément clé de l’acceptation et de l’implication des entreprises.

Pour convaincre les entreprises et lever leurs réticences, il faudrait que l’organisation qui serait en charge de la collecte puisse lister toutes les données, rien que les données, dont elle a besoin pour effectuer ses analyses. Pour n’en citer que quelques-unes, nous pouvons mentionner celles relatives aux paramètres techniques du projet (cf. plus haut) à savoir le budget défini, le temps alloué et les critères qualité (à analyser dans le cahier des charges et/ou les spécifications détaillées) du projet. En plus de cela, il faudrait pouvoir mentionner les profils et compétences des participants aux projets (diplômes, années d’expérience, certifications, réussites passées sur des projets similaires), et d’autres éléments contextuels ou de gouvernance comme la méthodologie choisie, le nombre de réunions et leur fréquence, etc. Ceci définirait un cadre commun et transparent à l’utilisation des données des projets.

Un autre bouclier qui pourrait hypothétiquement être levé est celui de la maîtrise actuelle des projets au sein d’une entreprise. En effet, si une entreprise s’estime déjà plus performante que ses concurrentes, quel bénéfice retirer d’un partage de ses données ? Plusieurs réponses seraient à apporter avec principalement le fait que les entreprises qui mettraient en commun leurs données auraient de grandes chances de dépasser la maîtrise de l’entreprise réticente, cette dernière aurait donc tout intérêt à se montrer volontaire. Une réflexion et un principe autour de la mise en commun par branche sectorielle et/ou par taille d’entreprises (pour ne pas biaiser la concurrence) serait éventuellement à réfléchir et à poser.

L’impulsion ou l’incitation doit venir des pouvoirs publics

Alors que nos entreprises françaises en sont encore à essayer de bien appliquer la RGPD, ce règlement européen visant à protéger nos données personnelles que nous essaimons sur internet, il n’existe pas à ce jour d’initiative privée française, ni même européenne, visant à créer un pôle français de la gestion de projets. Le Club Qualité Logicielle, précédemment cité, est une organisation intéressante pour son domaine mais beaucoup trop timorée.

Comme source d’inspiration, nous pouvons citer nos voisins d’outre-manche, le Royaume-Uni, qui ont lancé cette initiative visant à collecter et étudier ces données relatives à la gestion de projet et ils ont pour cela créé un partenariat public-privé sous le nom de Project Data Analytics Task Force (https://pdataskforce.com/). Potentiellement, cette initiative pourrait leur conférer un puissant avantage compétitif. Nous devons prendre exemple sur nos amis Brexiters et viser la création d’un partenariat public-privé, et ceci pourrait se concrétiser sous plusieurs formes, reste à choisir laquelle :

  • Une start-up aidée par la BPI ou labellisée IFIAG (https://www.ifiag.org/),
  • Un institut privé avec une mission de service public,
  • Une (ou des) initiative(s) privée(s) mais encouragée(s) par l’état via l’impulsion des fédérations professionnelles et des organisations sectorielles.

Peu importe la forme, tant que le fond reste le même : il est urgent de lancer cette initiative.

Tout reste à faire, mais nous devons absolument emboîter le pas des nations qui ont compris et comptent bien faire valoir leurs intérêts. L’impulsion à donner par les pouvoirs publics doit dès aujourd’hui faire convertir les incantations et autres tentatives d’alignement des méthodes en une réflexion autour d’une gestion de projet data driven.

Quels services une telle organisation pourrait-elle alors délivrer ?

Plusieurs éléments sont envisageables, mais ils convergeraient tous dans le sens d’une optimisation de la gestion de projets des entreprises françaises, dont la mise en commun des data serait un premier pas avant. Les services ou produits délivrés par un tel partenariat pourraient être :

  • Le développement d’un logiciel de gestion de projets abouti, prenant en compte toutes les dimensions d’un projet y compris ceux des aspects de management, en particulier dans celui de la conception logicielle qui est propice à une digitalisation encore plus forte,
  • Des services monnayables, pour auditer puis formuler des recommandations pour la gestion de projets de ses clients, à la manière d’une société de conseil,
  • A tout le moins, l’agrégation de données projets de plusieurs entreprises devraient engendrer la création d’une base de données qui serai accessible selon un modèle payant où les données seraient alors accessibles pour les entreprises partenaires ou pour d’autres entreprises qui accepteraient d’exploiter les données brutes.

Afin de protéger les intérêts de la France, il est évident qu’il faudrait être très prudent sur les produits ou services générés par une telle initiative, et qu’il faudrait gérer ces données, produits ou services de manière très sécurisée de façon à n’en faire bénéficier que les entreprises françaises. A contrario, il faudrait que le modèle soit suffisamment ouvert et accessible pour bénéficier seulement aux entreprises françaises mais bien à toutes les entreprises françaises, des TPE aux grandes entreprises, en passant par les PME et les ETI.

Tout reste à faire, mais nous devons absolument emboîter le pas des nations qui ont compris et comptent bien faire valoir leurs intérêts. L’impulsion à donner par les pouvoirs publics doit dès aujourd’hui faire convertir les incantations et autres tentatives d’alignement des méthodes en une réflexion autour d’une gestion de projet data driven.

 

— NOTES —

[1] Gordon, R. (2021, 28 janvier). Robust artificial intelligence tools to predict future cancer. MIT News | Massachusetts Institute of Technology. https://news.mit.edu/2021/robust-artificial-intelligence-tools-predict-future-cancer-0128

[2] Données valables jusqu’à 2015, les données de 2016 à 2020 sont accessibles moyennant un abonnement payant, mais elles restent valables car il n’y a pas eu de révolution en la matière depuis.

[3] Le rapport est disponible ici

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