Affaires étrangères et défenseL’Ukraine en question

27 mai 2023
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L'UKRAINE EN QUESTION

Bertrand Dutheil de la Rochère
Conseiller régional d'Île-de-France (2015-2021)

 

 

 

La guerre d’Ukraine est le premier conflit majeur qui, au XXIe siècle, répond à la thèse développée par Samuel Huntington dans The Clash of Civilizations, paru en 1996, (Le Choc des civilisations, 1997). Les différentes guerres menées directement ou indirectement par les Etats-Unis et leurs alliés dans le monde musulman (Irak, Syrie, Libye …) comme le terrorisme islamiste sont trop asymétriques. L’invasion de terres arméniennes (l’Arménie étant proche de la Russie) par l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie (membre de l’OTAN), relève de ce « choc ». Mais, pris entre leur propre communauté arménienne et leur alliance avec la Turquie, les Etats-Unis cherchent à en limiter l’ampleur.

Huntington différencie huit civilisations, principalement sur le critère de la religion. S’il reconnait une civilisation slavo-orthodoxe autour de la Russie, il pense qu’il existerait une civilisation occidentale où se retrouveraient les pays anglo-saxons de toute la planète et les autres nations germaniques d’Europe, tous tendanciellement protestants, avec les nations latines d’Europe, elles tendanciellement catholiques. En revanche, il sépare ces dernières du monde latino-américain, pourtant lui aussi tendanciellement catholique. Celui-ci serait à lui seul une civilisation. Naturellement, les Etats-Unis auraient un rôle directeur dans cet Occident, et l’OTAN en serait le bras armé, sinon le cœur.

 

La vieille coupure de l’Ukraine

 

Dans ce cadre, l’Ukraine est partagée entre la civilisation occidentale et la civilisation slavo-orthodoxe. En effet, si le pays est en majorité orthodoxe, quelles que soient les querelles actuelles entre les différentes Eglises se réclamant de l’orthodoxie et leur attitude vis à vis du patriarcat de Moscou, l’ouest est uniate, c’est-à-dire gréco-catholique, conservant les rites et la discipline ecclésiastique de l’orthodoxie, mais acceptant sur le plan de l’organisation l’autorité du pape et au niveau théologique tant le Filioque que le Purgatoire. Si expliquer l’importance du Filioque demanderait une longue dissertation, la reconnaissance du Purgatoire conduit à insister sur la Crucifixion du Christ, et moins sur sa Résurrection, et indirectement de développer toute une casuistique autour de la rédemption individuelle. De plus, en Ukraine, il existe deux Eglises uniates, celle issue de l’union de Brest-Litovsk, en 1596, dans les provinces alors polonaises et celle, de moindre importance, issue de l’union d’Oujgorod, en 1646, dans un territoire alors hongrois, dit Russie Subcarpathique ou Ukraine subcarpathique ou encore Ruthénie. Huntington illustre son propos en insérant dans son livre une carte sur laquelle un trait coupe, du nord au sud, le continent européen en deux, d’un côté l’Occident et de l’autre le monde slavo-orthodoxe. Cette fracture traverse l’Ukraine, entre une petite partie, celle d’implantation uniate, relevant de l’Occident, et la plus grande appartenant au monde slavo-orthodoxe. Le scrutin présidentiel de juillet 1994 en fut une illustration éclatante. L’est et le sud votèrent majoritairement, parfois massivement, pour Leonid Koutchma, réputé pro-russe. L’ouest ne lui accorda que peu de voix, se prononçant, parfois à près de 100%, pour Leonid Kravtchouk réputé pro-occidental. Au centre, comprenant Kiev, les résultats furent partagés.

Cette fracture prend son origine, au XIIIe siècle, dans l’invasion mongole et au sac de Kiev qui s’ensuivit, en décembre 1240. Le noyau russien, la Rus’, apparu aux IXe et Xe siècles entre Novgorod et Kiev, fut alors coupé en deux. La partie orientale composa avec les envahisseurs, acceptant de leur payer tribut et de se reconnaître leurs dépendants. En revanche, dès juillet 1240, Alexandre Nevsky avait battu les Suédois sur les rives de la Neva. Puis, il écrasa les Chevaliers Teutoniques sur les glaces du lac Peïpous en avril 1242. Suédois et Teutoniques étaient non seulement des Germains, mais ils étaient alors des catholiques romains. De leur côté, les Mongols, devenus les Tatars, se convertirent à l’islam. Puis, au cours des décennies, le rapport de forces se renversa, et les anciens dominants furent à leur tour dominés. En 1552, la prise de Kazan par Ivan IV le Terrible rendit définitif ce retournement. Celui-ci, dès son avènement, avait fait canoniser Alexandre Nevsky par l’Eglise orthodoxe. La Moscovie devenait la Grande Russie. Bien que lointaine et excentrée, elle était potentiellement une grande puissance d’Europe, mais une puissance singulière.



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